Pourquoi Konstantínos Karétsas a choisi la Grèce
Quand un jeune talent formé localement choisit de défendre d’autres couleurs que celles de son pays de naissance, c’est une onde de choc.
C’est ce qu’a provoqué en février 2025 la décision de Konstantínos Karétsas, joyau du KRC Genk, de représenter la Grèce plutôt que la Belgique au niveau international.
Né à Genk, passé par toutes les équipes de jeunes belges, le milieu offensif de 17 ans n’a pourtant jamais douté : son cœur bat pour la Grèce, pays de ses parents et de ses racines. Si ce choix peut sembler intime, presque affectif, il cristallise en réalité un problème bien plus vaste : la gestion défaillante des joueurs binationaux en Belgique.
Car Karétsas n’est pas un cas isolé. Il s’inscrit dans une vague d’“évasions sportives” qui touche de plus en plus de jeunes talents belges d’origine étrangère, séduits par des projets mieux construits, des approches plus humaines ou un attachement culturel profond. Le cas Karétsas devient alors un miroir tendu à une fédération belge en perte d’influence, bousculée par la concurrence internationale et incapable, jusqu’ici, de retenir ses pépites.
Konstantínos Karétsas : une décision personnelle, un impact national
Un “choix du cœur”, nourri par les racines grecques
Né à Genk en 2007 de parents grecs, Konstantínos Karétsas a grandi dans une famille profondément attachée à ses origines hellènes.
Entre les récits du père, ancien footballeur, et l’engagement passionné de la mère, supportrice du Panathinaïkos, le jeune joueur a baigné dans une culture grecque omniprésente. Le foyer Karétsas vibrait pour le PAOK Salonique, club dont le joueur est aujourd’hui un fervent supporter. Il parle couramment grec et revendique avec fierté sa double identité.
Cette part culturelle, loin d’être un folklore familial, s’est imposée comme un socle identitaire fort, au point de guider ses choix sportifs. Lorsqu’il a dû trancher entre les Diables Rouges et l’équipe nationale grecque, c’est l’émotion et la filiation qui ont pesé dans la balance.
“C’est le choix du cœur”, a-t-il écrit sur Instagram, précisant que cette décision “n’avait rien à voir avec les sélections futures”
En d’autres termes : pas un calcul de carrière, mais une fidélité à ses racines.
Une bascule encouragée par un projet grec ambitieux
Si l’attachement familial a joué un rôle clé, la Grèce n’est pas restée passive. C’est une approche proactive, humaine et structurée qui a permis de convaincre le jeune prodige.
Le sélectionneur grec Ivan Jovanović s’est déplacé en personne en Belgique, accompagné de deux légendes nationales : Vassilis Torosidis et Dimitris Salpingidis. Un geste fort, symbolique, qui a permis d’établir un lien direct et sincère avec le joueur et son entourage.
Dans un entretien au média grec Gazetta, Jovanović a rapporté que Karétsas lui avait confié que “sa patrie [le] comble parfaitement” et que “son cœur ne bat que pour la Grèce”.
Ce discours affectif, appuyé par un projet sportif structuré, a scellé le rapprochement.
Car la Grèce connaît actuellement un renouveau générationnel prometteur, avec des profils comme Fotis Ioannidis, Christos Tzolis ou encore Konstantinos Tzolakis.
Karétsas a rejoint une dynamique ambitieuse, tournée vers la qualification pour la Coupe du Monde 2026 et l’Euro 2028, et portée par une politique fédérale offensive vis-à-vis des jeunes talents binationaux.
Une réussite éclatante dès ses débuts internationaux
Le choix de la Grèce n’a pas tardé à porter ses fruits.
Après validation du changement de fédération par la FIFA en mars 2025, Karétsas a fêté sa première sélection le 20 mars 2025 contre l’Écosse, avant de marquer son premier but international trois jours plus tard lors d’un match retour (victoire 3-0). À 17 ans et 124 jours, il est devenu le plus jeune buteur de l’histoire de la sélection grecque, mais aussi de la Nations League.
Cette performance a confirmé que le choix de Karétsas était à la fois sentimental et pertinent sportivement. Depuis, il est devenu un titulaire régulier dans les éliminatoires du Mondial 2026, et incarne la jeunesse et le renouveau du football grec.
Un cas emblématique dans un contexte plus large
Les autres binationaux qui quittent la Belgique
Si le choix de Konstantínos Karétsas vers la Grèce peut sembler marginal (peu de profils belgo-grecs ont franchi ce cap au niveau A !), il s’inscrit dans une tendance de fond de jeunes talents binationaux formés en Belgique mais partis défendre d’autres sélections.
En 2025, plusieurs départs majeurs ont marqué les esprits :
- Chemsdine Talbi (Club Bruges) a choisi le Maroc, et a provoqué une crise interne à la fédération belge.
- Matías Fernández-Pardo (LOSC Lille), triple national (belge, espagnol, italien), s’est tourné vers l’Espagne après avoir longtemps représenté la Belgique en jeunes.
- Ilay Camara (Standard de Liège) a opté pour le Sénégal, dénonçant un manque de respect et d’intérêt de la part des Diables Rouges.
Ces cas, parmi d’autres, traduisent un problème structurel récurrent : les talents binationaux se sentent souvent sous-estimés, mal accompagnés ou peu considérés par la Fédération belge.
Pourquoi ils partent
Les témoignages convergent tous : manque de reconnaissance, absence de dialogue personnalisé, sélections tardives... Autant de signaux d’alerte négligés par la structure fédérale. Des jeunes comme Camara ou Talbi ont clairement exprimé leur sentiment d’être invisibles, malgré leurs belles performances.
Ce déficit de gestion des parcours binationaux est aggravé par un autre facteur : l’absence de titre majeur pour la Belgique.
Malgré une génération dorée dans les années 2010, les Diables Rouges n’ont jamais remporté de compétition internationale, à la différence de la France, l’Espagne ou même le Maroc récemment. Le prestige d’un projet compte, surtout pour des joueurs jeunes qui veulent se projeter dans des compétitions majeures.
À cela s’ajoute un manque de diversité dans l’encadrement fédéral, régulièrement pointé du doigt. De nombreux binationaux ne se reconnaissent pas dans les figures dirigeantes du football belge, ce qui accentue leur sentiment de décalage culturel et identitaire.
La contre-offensive des autres sélections
Le modèle marocain : proximité, vision long terme, et accueil familial
Parmi les nations les plus efficaces dans la conquête des binationaux, le Maroc fait figure de référence.
Sa stratégie repose sur trois piliers solides :
- un suivi personnalisé de chaque profil,
- une présence physique sur le terrain (visites aux familles, discussions avec les clubs),
- et un projet sportif ambitieux.
La Fédération marocaine dispose d’une cellule dédiée aux binationaux, avec des scouts présents dans les grands championnats européens.
Elle ne propose pas d’argent ni de promesses irréalistes, mais une vision claire, illustrée par l’Académie Mohammed VI, les performances en Coupe du monde, et la perspective d’organiser les Mondiaux 2030 et 2034.
Des profils comme Chemsdine Talbi, Rayane Bounida (potentiellement), ou Francis Amuzu ont été séduits. La dimension humaine joue un rôle clé : accueil chaleureux, valorisation des racines, écoute active... autant d’éléments que la Belgique semble avoir sous-estimés.
La stratégie grecque : adaptation intelligente et conviction humaine
Dans le cas de Karétsas, la Grèce a appliqué une approche similaire. Le sélectionneur Ivan Jovanović n’a pas envoyé un simple email : il s’est déplacé en personne, accompagné de figures emblématiques du foot grec.
Ce déplacement n’était pas un coup de com’, mais bien une stratégie ciblée. En donnant à Karétsas une place centrale dans le projet (il a rapidement été titulaire et buteur), la Grèce a envoyé un message fort : ici, tu es désiré, tu es important.
La Belgique réagit… mais trop tard ?
Face à cette concurrence, la fédération belge tente aujourd’hui de corriger le tir. Le nouveau directeur technique national, Vincent Mannaert, multiplie les réunions et les déplacements.
Mais les dégâts sont déjà là : plusieurs talents ont quitté le navire, et ceux qui hésitent encore (Bounida, Mokio, Idumbo) observent la situation avec prudence.
La Belgique paie aujourd’hui le prix d’un excès de confiance : celui de croire que les joueurs binationaux formés sur son sol lui seraient naturellement acquis. Or, dans un football mondialisé, les valeurs d’écoute, de reconnaissance et de projection sont devenues décisives dans la prise de décision.
Identité, appartenance et projection
Le passeport ne suffit plus
Pendant longtemps, la nationalité administrative semblait déterminer naturellement la sélection internationale d’un joueur. Mais aujourd’hui, le sentiment d’appartenance dépasse largement la carte d’identité.
Pour beaucoup de jeunes issus de l’immigration, l’attachement émotionnel, culturel et familial prime sur le parcours scolaire ou sportif local.
Karétsas, né en Belgique mais élevé dans une atmosphère grecque très marquée, incarne parfaitement ce dilemme moderne : être Belge sur les papiers, mais Grec dans le cœur. Et il n’est pas seul. De nombreux joueurs l’expriment sans détour : choisir la sélection du pays d’origine, c’est rendre hommage à ses racines, à ses parents, à son histoire.
Le poids de l’héritage familial et culturel
Chez Ilay Camara (Sénégal) comme chez Chemsdine Talbi (Maroc), on retrouve la même logique : une décision guidée par le respect de la famille, la volonté de faire honneur aux origines. Camara a ainsi déclaré vouloir “rendre fier son père”, tandis que Talbi a souligné l’importance de ses liens avec la culture marocaine.
Ce choix identitaire est souvent renforcé par le rejet ou le désintérêt perçu du pays de naissance.
Lorsqu’un joueur ne se sent pas reconnu, il est plus enclin à s’orienter vers une sélection qui lui tend la main avec sincérité. C’est précisément ce qui a poussé Karétsas à tourner le dos à la Belgique, malgré un parcours complet en sélections jeunes.
Le besoin de se sentir “désiré” par sa sélection
Le facteur clé, souvent sous-estimé, c’est le désir de reconnaissance. Plus qu’un appel symbolique, les jeunes talents veulent sentir qu’ils comptent réellement.
Le geste fort du staff grec envers Karétsas contraste avec la frilosité belge, souvent perçue comme bureaucratique ou impersonnelle.
C’est aussi une question de projection : dans quelle sélection ai-je le plus de chances de m’exprimer, de participer à une grande compétition, de devenir un cadre de l’équipe ?
La concurrence interne, la qualité du projet, et la place qui m’est proposée sont autant de critères déterminants.
Le cas Konstantínos Karétsas dépasse de loin l’anecdote d’un jeune talent ayant choisi la Grèce plutôt que la Belgique.
Il cristallise les failles d’un système belge encore mal préparé à l’évolution du football moderne, où l’identité ne se limite plus à la nationalité et où les joueurs binationaux exigent plus qu’une simple convocation. Ils veulent un projet, une écoute, une reconnaissance, mais surtout un sentiment d’appartenance.
Face à des fédérations proactives, chaleureuses et stratégiques comme celles du Maroc, de la Grèce ou du Sénégal, la Belgique doit urgemment repenser sa gestion des talents issus de la diversité. Faute de quoi, d’autres Karétsas feront le même choix du cœur... ailleurs.